Tocqueville a écrit deux livres importants, publiés de son vivant : La Démocratie en Amérique (1835) et L'Ancien Régime et la Révolution (non terminé). Il étudie non seulement les facteurs historiques, politiques et économiques, mais également sociologiques : "On peut m'opposer sans doute les individus, écrit-il, je parle des classes, elles doivent seules occuper l'histoire". Sans donner de définitions des classes, ni des groupes sociaux, il les analyse, montrant leur marque d'unité, leur tendance à l'uniformité et à la séparation, le privilèges des uns, les ambitions des autres. Analyse descriptive sans doute, mais plus riche d'explication que bien des tentatives plus ambitieuses.
Si Tocqueville excelle dans l'analyse politico-siociologique,
ou dans la description et le portrait d'une société particulière,
il utilise, note R. Aron
dans le second volume de la Démocratie en Amérique,
une troisième méthode : "une sorte de type idéal,
la société démocratique, à partir duquel
il déduit quelques-une des tendances de la société
future 1"
A partir d'éléments connus, il essaie de poser les questions
essentielles pour l'avenir et procédé qu'tilisera M. Weber
pour imaginer un autre passé possible.
L'aristocrate Tocqueville ne croit pas que l'industrie
suscite une aristocratie nouvelle. Comme le dit R. Aron
: "[...] contre la vision catastrophique et apocalyptique du développement
du capitalisme propore à la pensé de Marx, Tocqueville
faisait, dès 1835, la théorie plus résignée
qu'enthousiaste du wellfarestate
ou encore de l'embourgeoisement généralisé
1".
On doit enfin noter que Tocqueville n'éprouve pas de scrupules à juger. A côté de toutes les professions de foi scientifiques (A. Compte, E. Durkheim, V. Pareto) et serments d'objectivité constamment transgressés, il est reposant de lire un auteur qui, après avoir analysé d'une façon qu'il croit honnête, les évènements, les juge en fonction de sa propre échelle de valeurs. "Je n'ai même pas prétendu juger si la révolution sociale, dont la marche me semble irrésistible, était avantageuse ou funeste à l'humanité ; j'ai cherché celui chez lequel elle atteint le développement le plus complet et le plus paisible, afin d'en discernet clairement les conséquences naturelles et d'apercevoir s'il se peut, les moyens de la rendre profitable aux hommes."
En ce sens, écrit R. Aron, "il appartient à la tradition des philosophes politiques classiques, qui n'auraient pas conçu d'analyser les régimes sans les juger simultanément 1".