Le sort des disciplines formelles
:
de la cohérence à la dispersion 1
Partie : 1
2
SCIENCE POLITIQUE
La science politique recouvre
les sous-domaines des relations internationales, la théorie politique,
la politique comparée, la vie politique nationale, la politique
publique et l'administration publique, et quelques autres. Ces sous-domaines
ne sont pas clairement délimités.
Comme le souligne Emmerich, pour l'un de ces sous-domaines,
" dans la structure de l'organisation intellectuelle, le droit public administratif
en est venu à avoir une profonde affinité avec la science
politique, même si au sein de quelques institutions, il est associé
aux recherches juridiques, et celles de gestion " (Emmerich, 1956,
385).Diverses classifications ont été proposées. Elles
sont aussi arbitraires les unes que les autres.
Diviser la discipline par sujets, même si ceux-ci
connaissent une fécondation mutuelle, est trompeur pour plusieurs
raisons. 0n reconnaît comme sous-domaines la sociologie politique,
la psychologie politique, l'économie politique, ou l'anthropologie
politique, entre autres ; les zones de recherche sont évidemment
des divisions supplémentaires. En général, il y a
relativement peu d'échanges professionnels entre une personne qui
étudie le Congrès américain et un spécialiste
de la vie politique du Moyen-Orient, entre un philosophe politique et un
expert en analyse statistique ou en modélisation mathématique,
entre un africaniste et un expert des relations stratégiques Est-Ouest.
Mais la plupart d'entre eux semblent entretenir de substantielles relations
avec les chercheurs des autres disciplines, comme par exemple, les historiens
du Moyen-Orient, des ethnologues de l'Afrique, des sociologues statisticiens,
ou un collègue du département de philosophie. La relative
absence d'un bloc méthodologique commun contribue à la fragmentation
de la discipline et à la fécondation de ces fragments par
des spécialités rattachées à d'autres disciplines.
Du fait de la fertilisation croisée et de l'hybridation,
la théorie politique a eu une histoire confuse. Les influences sont
venues d'un peu tous les coins de la carte disciplinaire, regroupant des
penseurs comme Jürgen Habermas, John Rawls, Robert Nozick,
Martin Heidegger, Michel Foucault, H. G. Gadamer,
György Lukacs, Antonio Gramsci, Louis Althusser
et Karl Popper. Avec les années, " la théorie politique
n'était plus centrée sur la science politique, et la science
politique ne définissait plus les problèmes évoqués
dans les écrits de théorie politique " (Gunnell, 1983,
28). Les théoriciens politiques ont été influencés
par la philosophie de la science et les préoccupations épistémologiques,
relativement séparées des problèmes politique majeurs.
Une grande partie de la théorie politique d'aujourd'hui consiste,
en fait, en l'étude de l'histoire de la philosophie politique.
Le sous-domaine du droit administratif, peut-être
le deuxième par l'ancienneté dans la discipline, a, lui aussi,
poussé les politologues en direction d'autres sciences sociales.
Selon A. S. Blumberg dans la revue Criminal Justice (1967)
" la recherche en science politique à propos des cours d'assises,
par exemple, doit beaucoup au travail des sociologues " (Baum, 1983,
196). D'autres ont été influencés par la recherche
anthropologique sur la résolution des conflits, bien que cette influence
soit limitée par le fait que la science politique tend à
se placer à un niveau d'analyse différent.
Le principal facteur d'hybridation et d'évolution
fut la révolution béhavioriste. Entre les deux guerres, le
béhaviorisme a relativement peu progressé, mis à part
quelques exceptions comme le travail de l'École de Chicago dans
les années 30. Le béhaviorisme a puisé dans plusieurs
autres disciplines, et en fait la science politique ne fut qu'un des sites
des échanges novateurs : " La plus grande réalisation de
l'École de Chicago fut la réelle coopération interdisciplinaire
qu'elle a accomplie au sein des sciences sociales " (Jensen, 1969,
236). La spécialisation et la fragmentation qui lui ont succédé
allaient rendre difficile la coopération au niveau des disciplines
formelles, les contributions importantes allaient venir de zones plus étroites.
Bien que la révolution béhavioriste ait
été à l'origine de la création de nombreux
sous-domaines de la science politique, William Riker pouvait encore
écrire au début des années 60 que le processus était
inachevé.
''Il y a un bouillonnement intellectuel considérable
parmi les politologues d'aujourd'hui, dû au fait que la méthode
traditionnelle de leur discipline semble s'être engagée dans
un cul-de-sac. Ses méthodes traditionnelles c'est à dire
écrire l'histoire, décrire les institutions, analyser la
législation ont été exploitées à fond
au cours des deux dernières générations, et maintenant,
il apparaît à beaucoup (dont je suis) que celles ci ne peuvent
produire que de la sagesse, et non de la science ou de la connaissance.
Bien que la sagesse soit certainement utile dans les affaires humaines,
un tel résultat est un échec par rapport à la promesse
que contient le nom de science politique " (Riker, 1962, 8).Le chapitre
de David Easton sur "La condition de la science politique américaine",
dans son Framework for Political Analysis, soulignant la nécessité
d'approches théoriques de la politique, est une puissante défense
de la science politique pré-behavioraliste. Easton va jusqu'à
démontrer qu'un des principaux principes de la révolution
béhavioriste en science politique était que " la recherche
politique pouvait ignorer les découvertes des autres disciplines,
mais au risque d'affaiblir sa validité et d'empêcher une généralisation
de ses propres résultats " (Easton, 1965, 7). Les innovateurs
ont cherché ailleurs l'inspiration. B. R. Berelson, P. F.
Lazarsfeld et W. N. McPhee ont appliqué la psychologie
sociale à la politique dans leur Voting (1954) ; Karl W Deutsch
a appliqué la théorie de la communication à la politique
dans son Nationalism and Social Communication (1953) ; et David
B. Truman a utilisé les théories sociologiques du
groupe dans sa théorie du The Governmental Process (1951).
La science politique s'est depuis lors ouverte à de multiples influences,
en particulier à l'économie et à la sociologie, et,
dans une moindre mesure, mais de façon néanmoins importante,
à la psychologie et la psychologie sociale, et quelques-uns ont
recherché la fertilisation mutuelle avec l'anthropologie et d'autres
disciplines formelles.
Il y a eu des changements dans l'hybridation de la science
politique. Dans les années 50 et 60, la sociologie a irrigué
la science politique, apportant des contributions importantes, comme la
théorie du groupe, la socialisation politique, les clivages sociaux,
et la théorie des systèmes. Dans les années 70 et
80, l'économie est devenue le principal fertilisant de la science
politique, en particulier avec la théorie des biens publics et de
l'action collective, la théorie des jeux, celle du choix social,
et la théorie du commerce international. La psychologie a constamment
exporté vers la science politique. Dans les années 50 et
60, ses principaux apports furent la théorie de la personnalité
et l'étude des valeurs. dans les années 70 et 80, la psychologie
sociale et la psychologie cognitive exercèrent une grande influence
sur certaines branches de la science politique.
Une des principales raisons de toute hybridation est
que la science politique a l'avantage d'être une discipline pragmatique,
ce qui l'ouvre à beaucoup de praticiens éclectiques qui cherchent
à résoudre des problèmes concrets. Heckhausen
a comparé la science politique à la médecine : " Les
nécessité de la pratique ont entassé au cours des
siècles un salmigondis de progrès multidisciplinaires " (Heckhausen,
1972, 86). Bien que cet éclectisme puisse constituer une faiblesse,
accentuant les désaccords entre politologues, il peut aussi être
une source de croissance et une forme d'hybridation précoce et permanente.
SOCIOLOGIE
"Tous les sociologues ou
à peu près ont cherché à définir l'objet
de la sociologie. Ce qui est une autre manière de dire que personne
ne paraît y être parvenu... aucune des définitions proposées
n'a été universellement acceptée" (Boudon,
1971, p. 11). Aujourd'hui la sociologie est extraordinairement fragmentée.
A un certain stade de son expansion elle fut une discipline impérialiste.
Auguste Comte
mettait la sociologie au deuxième rang, après la philosophie,
et sous l'influence de Max Weber,
Emile Durkheim,
et Talcott Parsons,
parmi d'autres, la sociologie est devenue la reine des sciences sociales.
Sous une forme ou sous une autre la sociologie a envahi
toutes les disciplines formelles des sciences sociales. A son tour la sociologie
a été touchée par de multiples vagues successives
au cours de la dernière moitié du siècle, par des
courants venus de la psychologie, de l'anthropologie, de la science politique
et de l'économie, sans oublier les échanges avec l'histoire
(voir le chapitre 21). L'interaction avec la psychologie est en grande
partie responsable du développement de la rigueur méthodologique
en sociologie, en particulier la recherche sur le comportement, l'adoption
de concepts clés comme les valeurs ou la socialisation, et l'emprunt
de méthodes telles que la recherche par enquêtes, et l'analyse
statistique.
Les apports de l'anthropologie sont surtout théoriques,
notamment ceux du structuro-fonctionnalisme. La science politique a influencé
beaucoup de sociologues qui commencèrent à s'interroger sur
le pouvoir, en particulier dans les années 60. Plus récemment,
les tentatives pour expliquer les différences des valeurs et motivations
ont orienté beaucoup de sociologues vers les méthodes de
l'économie. Il n'y a pas aujourd'hui de domaine à qui on
pourrait donner le nom de sociologie sans lui adjoindre un adjectif. Greenstein
a raison de souligner qu'"il n'existe pas de 'purs'sociologues ou psychologues
qui correspondent à nos critères de définition abstraits
de la discipline" (Greenstein, 1969, 164). Il y a deux générations,
un doyen de sciences sociales de l'Université de Chicago avait déjà
pensé abolir complètement la sociologie, comme l'explique
James Miller, parce qu'"il y avait un chevauchement complet entre
pratiquement tous les cours donnés en sociologie, et les cours donnés
en économie, science politique, psychologie, géographie,
histoire ou anthropologie. Un tel domaine allait inévitablement
connaître des tensions internes, à moins d'être unifié
par une forte approche théorique qui serait communément acceptée"
(dans Deutsch, Markovits, Platt, 1986, 55). Talcott Parsons
avait jadis tenté de construire une telle théorie, et de
maintenir l'unité de la discipline. Mais il avait beaucoup exagéré
l'unité interne de la discipline. De telles tentatives, si elles
étaient entreprises aujourd'hui " apparaîtraient comme risibles
" (Smelser, 1988, 12).Aujourd'hui au sein de l'Association internationale
de Sociologie il existe un comité de recherche sur la " Théorie
de la Sociologie ", mais cette discipline s'est étendue ou dispersée
dans toutes les directions, comme on peut le voir dans la liste des comités
de recherche de l'AIS.
Il y a des sociologues de l'éducation, du droit,
de la science, de la religion, de la médecine, des valeurs, de la
connaissance, de la politique, de l'économie, de la famille, des
loisirs, du sport, de la déviance, de la communication, de l'aliénation,
de l'agriculture, des organisations, de l'impérialisme, de la santé
mentale, des migrations, des sexes, de la jeunesse, et des arts, de même
qu'il existe des comités de sociologie rurale, sociologie urbaine,
sociologie militaire, sociologie comparative, sociolinguistique, psychologie
sociale, sociocybernétique, écologie sociale, etc. Personne
ne parle aujourd'hui de sociologie en général, sauf pour
des raisons administratives ou d'enseignement. Comme le suggère
cette liste la matrice de la sociologie a éclaté en sous-domaines
spécialisés. Certains sociologues après avoir envahi
un sous-domaine voisin ont " quitté leur terre natale ", et maintenant
un gouffre culturel les sépare de leurs anciens compatriotes. Un
regard sur la liste suffit à mesurer l'ampleur du chevauchement
entre la sociologie et les sous-domaines des autres sciences sociales.
Chaque sous-domaine de la sociologie entretient des relations
avec des sous-domaines d'autres disciplines. Voici un témoignage
parmi d'autres :" La sociologie religieuse a besoin du concours de toutes
les sciences humaines. Nous les avons presque toutes rencontrées
: géographie et histoire, psychologie et ethnologie, droit et morale,
théologie et liturgie. On ne saurait s'étonner qu'il y eût
quelques conflits de frontières et que le débat se poursuive
sur les relations entre la sociologie religieuse et la psychologie ou l'histoire,
sur les réserves de la géographie humaine ou de la phénoménologie
''(Gabriel Le Bras, p. 95).Le terme de " sociologie " n'a plus grand
sens aujourd'hui, bien qu'il soit une appellation commune à un grand
nombre de gens, s'intéressant à des choses très différentes.
Prospectant l'avenir de la discipline, Neil Smelser prévoit
que " la probabilité pour que ce terme dé signe un domaine
identifiable tendra à diminuer, même s'il y a des raisons
évidentes de carrière professionnelle pour les individus
qui ont suivi des formations de sociologues ; il semble que l'investissement
dans la discipline en général diminuera, et que des sous-groupes
chercheront à échanger et à se regrouper dans des
organisations à l'intérieur (par ex. dans des sections spéciales)
ou à l'extérieur (par ex. une société pour
l'étude du choix public) de l'Association internationale de Sociologie"
(Smelser, 1988, 13). En réalité, même ceux qui
sont formellement à l'intérieur de la discipline sont déjà,
en large part, intimement liés à l'extérieur. Parmi
les 50 sections reconnues par le Guide to Graduate Study in Sociology
publié par l'Association américaine de Sociologie
de 1986, 41 sont des domaines croisés et 9 seulement sont considérés
comme appartenant au coeur de la sociologie. Parmi ces spécialités
situées au centre de la sociologie se trouvent la théorie,
la méthodologie, l'histoire de la sociologie, la pratique sociologique,
l'étude du comportement collectif, et celle de la stratification.
Les autres sont, à des degrés divers, pénétrées
par les spécialités d'autres disciplines, qu'elles relèvent
des autres sciences sociales ou de la biologie, de la médecine,
des mathématiques ou de la musique. La sociologie comparative et
la politique comparée ont une relation fructueuse, en particulier
dans l'élaboration des techniques d'analyse. La criminologie ne
dépend pas seulement de la sociologie et de la jurisprudence, mais
aussi des études psychologiques de la déviance, et plus récemment,
des modèles économiques ont alimenté le débat.
La sociologie industrielle est en contact étroit avec les relations
industrielles en économie, et avec un nombre croissant de politologues
intéressés par le rôle des syndicats dans la vie politique
nationale. L'étude sociologique de la religion tire parti non seulement
des études religieuses, mais aussi de l'anthropologie ; la sociologie
rurale entretient des échanges avec la géographie sociale,
les études anthropologiques paysannes et les historiens des sociétés
rurales. Les sociologues qui étudient les processus de socialisation
entrent en contact avec des psychosociologues, les anthropologues culturels
et les politologues. La sociologie rencontre la linguistique dans la sociolinguistique,
les relations internationales dans la sociologie des conflits ; les études
urbaines dans la sociologie urbaine, et la démographie dans la sociologie
du vieillissement. La sociologie a aussi formé un domaine hybride
avec la pédagogie.
La sociologie de l'éducation a des échanges
avec beaucoup d'autres sciences sociales et c'est seulement la matière
du sujet qui fait l'unité du domaine. Ses sous-domaines principaux
sont la psychologie de l'éducation, la philosophie de l'éducation,
l'histoire de l'éducation, l'anthropologie de l'éducation.
Ici encore, la matière du sujet se fragmente au contact des autres
disciplines formelles.
Il existe beaucoup d'autres divisions dans la sociologie,
et c'est inévitable. " Il est difficile d'imaginer un paradigme
unique, s'appliquant à la foule de problèmes et de niveaux
d'analyse existant en sociologie " (Turner, 1988, 51). Raymond Boudon
(1988) montre qu'il existe plusieurs approches différentes dans
la recherche sociologique, qui peuvent coexister, même si elles sont
incompatibles entre elles. Il distingue trois choix méthodologiques
différents, chacun étant un choix binaire, générant
huit conceptions de base de la recherche sociologique. Un tel pluralisme
intellectuel dénie effectivement à la discipline un corps
central, et probablement, par la même occasion, une unité.
Certains choix sont intimement liés à des
disciplines extérieures ; l'étude des acteurs sociaux en
tant qu'êtres rationnels empiète sur l'économie, tandis
que ceux qui étudient les comportements irrationnels s'appuient
sur la psychologie et la psychologie sociale.
D'autres clivages divisent aussi la sociologie. 0n ne
peut pas, semble-t-il, appartenir à la fois à une école
marxiste et à la tradition weberienne de la sociologie. Les deux
s'excluent l'une l'autre, dès leurs origines, et cela est attesté
par le fait que Weber
lui même ne cite Marx
que deux fois ; en dépit de ses efforts, Günter Roth n'a pas
réussi dans sa tentative pour construire un pont entre les deux
géants. De même, Durkheim ne se réfère pas à Marx,
et n'est pas entré en relations avec son contemporain Max Weber.
Des sociologues freudiens se distinguent de tous ceux-là, et, en
fait, Freud lui même ne se réfère à aucun d'entre
eux. Bien que Parsons ait trouvé un peu d'inspiration chez Weber,
il y a néanmoins entre eux un abîme. Cette situation a conduit
Paul Veyne à un jugement impitoyable et même excessif."
La sociologie n'est qu'un mot, sous lequel on place différentes
activités hétérogènes : phraséologie
et topique de l'histoire, philosophie politique du pauvre ou histoire du
monde contemporain... écrire l'histoire de la sociologie, de Comte
à Durkheim,
en passant par Weber, Parsons
et Lazarsfeld, ne serait pas écrire l'histoire d'une discipline,
mais celle d'un mot. De chacun de ces auteurs à l'autre, il n'y
a pas de continuité de fondement, d'objet, de propos ou de méthode
; "la" sociologie n'est pas une discipline une, qui aurait évolué
; sa continuité n'existe que par son nom, qui établit un
lien purement verbal entre des activités intellectuelles qui ont
pour seul point commun de s'être établies en marge de disciplines
traditionnelles. Il v avait du vide entre ces disciplines... Dans ce terrain
vague entre les vieilles disciplines sont venues camper successivement,
en des emplacements différents, des entre prises hétéroclites,
qui ont dû à leur seule marginalité d'avoir reçu
le même nom de sociologie. La question n'est donc pas de savoir,
par exemple, ce que le sociologue Durkheim
a de commun avec le sociologue Weber,
car ils n'ont rien de commun... Un signe ne trompe pas : étudier
la sociologie n'est pas étudier un corps de doctrine, comme on étudie
la chimie ou l'économie ; c'est étudier les doctrines sociologiques
successives, les placita des sociologues présents et passés
" (Veyne, 1971, 191).Les successeurs de ces géants ont des
difficultés à communiquer, c'est vrai, et les désaccords
idéologiques et politiques exacerbent les clivages. Les différences
idéologiques peuvent être facilement déplorées,
mais si un dialogue s'établissait entre eux, le choc des perspectives
pourrait faire avancer la cause de la science, en forçant chacun
à justifier avec plus de rigueur ses positions.
Dans certains cas, l'apparition d'une nouvelle perspective
peut avoir des implications pour nombre de sous-domaines de la discipline.
Neil Smelser décrit un tel cas : " Commençant par la critique
de Coser inspirée par Simmel, la critique de Marx
par Mills, et la critique de Weber
par Dahrendorf, le conflit de perspective a éclaté
dans plu sieurs douzaines de directions, touchant les sous domaines de
la sociologie les uns après les autres, la sociologie des sexes,
la sociologie de l'éducation et celle de la déviance " (Smelser,
1988, 11). La plupart d'entre eux ont affecté d'autres disciplines
formelles. Une seule innovation peut irradier toute une discipline et au
delà. L'hybridation de la sociologie a bien sûr donné
naissance à beaucoup de nouveaux terrains de recherche et de connaissance. Boudon
et Bourricaud (1982) se sont interrogés sur les raisons pour
lesquelles la montée de la sociologie a été suivie
d'un déclin aussi rapide. Nous voyons plutôt un éclatement
vers les périphéries, et un déclin seulement au centre.
Aujourd'hui, les sociologues continuent à se battre tellement, en
terre étrangère, que le centre de la discipline est déserté,
sauf par quelques fidèles comme Raymond Boudon,
Pierre Bourdieu,
Anthony Giddens, John Golthorpe ou Neil Smelser. Le
centre de la sociologie est aujourd'hui aussi vide que la péninsule
italienne à la fin de l'Empire romain, quand toutes les troupes
étaient aux frontières. Il n'est pas impossible que la sociologie
connaisse, à l'avenir, le même destin que la philosophie :
sa descendance abandonnera la maison familiale, pour construire de nouvelles
forteresses académiques. L'incohérente diversité de
la sociologie apparaît avec encore plus de clarté si on la
compare avec les disciplines dont le corps central est identifiable, comme
par exemple l'économie politique et la linguistique.
LINGUISTIQUE
La linguistique est une discipline
ancienne, dont on peut trouver trace dans l'ancien sanskrit et les études
des grammairiens grecs. Elle fut aussi une des premières à
proposer des lois vérifiables du comportement social. Les premières
de ces lois furent élaborées à partir de la démonstration
faite en 1787 par William Jones que le sanskrit, let contact avec
les autres : phonétique, phonémique, morphologie, morphophonémique,
syntaxe et pragmatique. Bien sûr, ils échangent aussi avec
les autres disciplines. A partir de ce corps central, les linguistes rencontrent
l'acoustique, l'anthropologie, l'intelligence artificielle, la logique
formelle, les mathématiques, la psychologie et la sociologie. La
sociolinguistique, par exemple, étudie les eff grec et le latin
avaient un ancêtre commun, et par Frederick Schlegl, qui ajouta
les langues indienne, perse, grecque, italienne et germanique à
la famille en 1808. Grâce à de telles découvertes,
Francis Bopp, William Humboldt, Jacob Grimm et Eugene
Burnouf ont développé une classification généalogique
des langues, et ont commencé à travailler sur les lois de
dérivation d'une langue par rapport à ses formes passées.
Globalement, ces lois sont encore valables aujourd'hui. Nonobstant son
âge, la linguistique est étonnamment cohérente.
Les linguistes doivent connaître un corps central,
dans lequel ils choisissent une spécialisation, sans complètement
perdre touets de la classe sociale, de la mobilité géographique,
des problèmes de colonisation et autres déterminants sociologiques
sur l'usage de la langue et des dialectes.
La psycholinguistique étudie la réalité
psychologique des catégories linguistiques, le processus de création
et de compréhension du discours, mais aussi les aspects de la connaissance
liés au langage. D'autres sujets d'études comme la psycholinguistique
comparative, le bilinguisme, l'analyse de contenu, les processus associatifs
dans le comportement verbal, les dimensions de la signification, le style,
l'aphasie et les universalités dans le langage peuvent être
évoqués. Le domaine a eu son coup d'envoi par un séminaire
du Social Science Research Council en 1951, qui a conduit à la constitution
d'un comité de linguistique et de psychologie, comprenant des psychologues
comme John Carrol, James Jenkins, George Miller et
Charles Osgood, et des linguistes comme Joseph Greenberg,
Flyod Lounsbury et Thomas Sebeok. Il a progressé sous
l'action de la revue de A. R. Diebold de 1954 portant sur les problèmes
proposés par le SSRC. Au cours de la décennie 50, les linguistes
structuralistes comme Bloomfield, Fries, Hockett et
Pike ont dominé le domaine naissant. La sous-discipline n'a
pas réellement explosé, jusqu'à ce que George Miller
applique les règles de transformation de Chomsky à
la psychologie, date habituellement considérée comme celle
du début réel de la psycholinguistique comme terrain de recherche
autonome.
L'étendue de la discipline est remarquable : "La
linguistique devient une discipline qui est à la fois une science
naturelle, une branche des humanités, et une science sociale" (Parsons,
1965, 54). Son centre garde cependant une certaine cohérence, et
un sous domaine comme la linguistique historique peut puiser la plupart
de ses données dans n'importe quel secteur de la discipline. Les
spécialistes en syntaxe ne peuvent éviter de se confronter
à la sémantique, la morphologie et même la phonologie,
entre autres sous-domaines dépendants. Tous les linguistes savent,
par exemple, que la syntaxe ne peut pas expliquer pourquoi la phrase, "
des idées vertes sans couleur dorment furieusement " n'est pas "
grammaticale " ; la réponse réside évidemment dans
le domaine voisin qu'est la sémantique, et pas nécessairement
hors de la discipline, dans la psychologie ou la logique. De tels problèmes
ont contribué à l'intérêt actuel des chercheurs
en syntaxe ou en morphologie pour la sémantique. Dans une discipline
aussi cohérente, l'autofertilisation est possible parmi les sous-domaines,
comme c'est le cas pour certaines plantes. Souvent, ce sont les développements
dans un sous-domaine de la linguistique qui stimulent l'innovation ailleurs
dans la discipline. Les prospections de Noam Chomsky dans Syntactic
Structures (1957) ont conduit à une sorte d'impérialisme
de la syntaxe à l'intérieur de la discipline, une domination
qui s'est affaiblie seulement au cours de la dernière décennie.
La syntaxe a eu un impact sur la phonologie générative, comme
le montrent les exemples de The Sound Pattern of Russian (1959)
de M. Halle, les Aspects of Phonological Theory (1961) de P. Postal,
et le classique The Sound Pattern of English (1968) de Chomsky et
Halle. Plus récemment, les problèmes de sémantique
et de pragmatique ont eu tendance à occuper le devant de la scène.
Les domaines hybrides comme la sociolinguistique ou la psycholinguistique
sont souvent les premiers à absorber et à exploiter les innovations
des sous-domaines appartenant au corps central. D'autres disciplines absorbent
elles aussi fréquemment les innovations et les méthodes de
la linguistique, comme ce fut le cas en anthropologie dans les analyses
sémantiques des systèmes de parenté par Flyod Lounsbury
et Ward Goodenough. Les linguistes ont tiré parti du fait
que leur corps central était relativement fort. Tout d'abord, cela
rend la communication plus facile entre les diverses spécialités.
En un certain sens, l'existence d'un noyau central permet aussi la spécialisation
par sujet, tandis que l'on partage méthodes, concepts, perspectives
et théories. Bien sûr, il y a aussi un prix à payer
pour cette cohérence. L'existence de corps centraux peut néanmoins
créer des fractures. Ces clivages de la linguistique deviennent
plus évidents si on examine la linguistique historique : nous n'avons
qu'une petite idée des raisons pour lesquelles les langues se modifient.
En fait, une des observations les plus anciennes du sous-domaine, la loi
de Grimm (telle qu'elle a été modifiée par Verner)
en reste au stade de la généralisation descriptive, corrélant
les consonnes de l'indo-européen d'origine avec leurs reflets en
langue germanique. Pourquoi un groupe linguistique donné joue de
la chaise musicale avec l'ensemble de son système de consonnes,
cela reste un mystère. A une plus grande échelle, on peut
se poser des questions sur les résultats d'une rencontre entre deux
langues, en se demandant pourquoi la plupart des Celtes britanniques ont
abandonné leurs langues en faveur de l'anglo-saxon dominant au bas
Moyen Age, alors que les Anglo-Saxons n'ont pas adopté le français
normand après 1066 ; le français normand a pour sa part emprunté
au scandinave dominant par le biais des vassaux français de Normandie,
mais nous ne savons pas pourquoi. Les raisons de ces différences
dans les choix d'une langue ont des effets importants sur son développement
ultérieur, comme par exemple la créolisation partielle de
l'anglais et du français normand, qui a stimulé les changements
radicaux du vieil anglais au moyen anglais, de Beowulf à Chaucer.
Cependant, les méthodes de la linguistique historique, comme celles
de la plupart des linguistes, ne sont pas les meilleures pour poser ces
questions.
ÉCONOMIE
A écouter les économistes,
on entend deux discours contradictoires. Pour les uns, en minorité,
la science économique "est balkanisée, éclatée
en une multitude de disciplines, chacune étant organisée
autour d'une ou deux revues d'où la difficulté pour un économiste
d'être au courant de l'état de la science, même s'il
existe, fort heureusement, un vocabulaire commun, des théories partiellement
englobantes, des associations, des publications ou des hommes assurant
des liaisons au sein de l'ensemble (...) Que cette idée plaise ou
non, il faut se rendre à l'évidence : la science économique
d'aujourd'hui ne peut se condenser en un Traité qui présenterait
pour dix ans un savoir figé et sûr. Même s'il existe
des bases théoriques solides sur lesquelles s'accordent la quasi-totalité
des économistes, la science économique est avant tout un
écosystème social qui mélange ordre et désordre
et qui se réorganise en permanence au fur et à mesure que
progresse la connaissance " (Lesourne, 1990). Pour la majorité des
économistes, l'économie a un corps central bien défini.
Tous les économistes doivent avoir une formation en théorie
monétaire et finance, en macro-économie et micro-économie
(théorie de la production, de la demande, de l'échange, de
la distribution), et des connaissances mathématiques. Pour la plupart,
ils empruntent seulement aux mathématiques et aux statistiques.
Leurs divisions sont générées par l'évolution
interne, et non par des influences externes. Les économistes peuvent
être divisés en deux clans, les théoriciens et les
économètres, et la communication entre les deux n'est pas
toujours facile. Les théoriciens, tels les moines érudits
du Moyen Age, construisent de belles théories détachées
de la réalité. Les économètres, de leur côté,
analysent des montagnes de données, ignorant les théories
des théoriciens, et sont ignorés en retour par ceux-ci On
peut aussi distinguer des sous-domaines solides : monnaie et finance, relations
industrielles, économie internationale, développement économique,
droit et économie, histoire économique, et planification
économique comparée. Ces sous-domaines sont - comme ceux
de la linguistique ouverts dans une certaine mesure aux sous domaines des
autres disciplines comme, par exemple, la science poli tique (relations
industrielles, développement économique, politique économique),
l'histoire (histoire économique), le doit (droit et économie)
et la sociologie (relations industrielles). Les relations industrielles,
par exemple, échangent avec le droit du travail, la gestion du personnel,
la sociologie industrielle, la psychologie industrielle, et la médecine
industrielle. Le sous-domaine le plus ouvert a été finalement,
expulsé : l'histoire économique ayant goûté
au fruit de la connaissance historique, a été en grande partie
chassée de l'Eden des économiste, dans le sens qu'elle est
mieux connue en histoire et science politique qu'en économie.
Même si quelques-uns de ces sous-domaines sont
ouverts Sur,, l'extérieur, les économistes ne travaillent
pas habituellement dans des domaines hybrides. Ceux qui font des recherches
aux confins de la discipline adoptent généralement la méthodologie
de leurs disciplines et l'appliquent à la matière de la discipline
limitrophe, une forme limitée d'impérialisme trans-disciplinaire,
mais puissante néanmoins. Cette approche "a renforcé l'impérialisme
expansionniste de l'économie vers les domaines traditionnels de
la sociologie, la science politique, l'anthropologie, le droit et la biologie
sociale " (Hirshleifer, 1985, 53).Gary Becker, par exemple, a utilisé
les méthodes économiques pour expliquer la discrimination
raciale, le crime, le mariage, les relations entre enfants et parents,
le suicide et maints autres phénomènes "sociologiques ".L'étendue
de ces applications est impressionnante. Les économistes Georges
J. Stigler et Sam Peltzman, étudiant le droit, l'économie
et la régulation politique, ont développé une théorie
du " soutien politique ". Leur modèle peut expliquer les services
publics, les soutiens à l'agriculture, l'autorégulation des
médecins et des avocats, et maintes autres formes d'intervention
politique sur des marchés. Leur théorie montre aussi une
puissante habileté à expliquer les résultats des politiques,
en faisant abstraction du processus politique. D'autres, comme Gary Becker,
William Brock, Stephen Magee et Leslie Young ont commencé
à puiser dans des spécialités de la science politique,
comme le comportement des groupes d'intérêts et la compétition
entre partis ; le travail de Brock, Magee et Young,
en particulier, offre la possibilité d'ajouter des éléments
concernant les processus dans ce genre de modèles. En fait, la science
politique a probablement été le terrain le plus important
de l'invasion de l'économie. Une spécialité hybride
- le choix public ne peut être clairement assignée ni à
la science politique, ni à l'économie. Faiblement institutionnalisés,
ses praticiens peuvent trouver leur patrie académique au sein de
l'un des sous-domaines des deux disciplines, que ce soit la théorie
politique, la politique comparée, les finances publiques ou droit
économique.
L'économie, comme la linguistique, a elle aussi
ses fractures. Les économistes sont, à juste titre, fiers
de leur expansion impérialiste.
Cependant, il existe des variables non rationnelles et
non économiques, qui influencent le comportement économique,
allant des contraintes biologiques qui s'exercent sur l'esprit humain au
processus de socialisation. Le lauréat du prix Nobel F. A. Hayek
a même suggéré que " personne ne peut être un
grand économiste, s'il est seulement un économiste et je
suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui ne serait
qu'économiste a toutes les chances de devenir nuisible, si ce n'est
réellement dangereux " (Hayek, 1956, 463). Hayek illustre ceci par
son propre travail, et son livre, The Road of Serfdom, puise dans la théorie
de la démocratie, autant que dans l'économie. Plusieurs disciplines
se réclament de l'autre lauréat du prix Nobel d'économie,
Herbert Simon, qui a puisé dans l'économie, la psychologie,
la science politique, la théorie des organisations et l'informatique
; mais Simon n'a jamais détenu une chaire dans un département
d'économie.
Les méthodes économiques sont relativement
impuissantes à expliquer les "événements" soudains.
C'est en grande partie parce que aucun des concepts économiques
clés n'est observable, ou même s 'il l'est, quantifiable ;
par exemple la notion d'utilité, les fonctions d'utilité,
les fonctions d'offre, les fonctions de demande, les économies d'échelle,
etc. Ce en quoi les économistes excellent, c'est dans la prédiction
du sens de l'évolution de quelques variables, si un changement intervient
sur une autre variable. La théorie de la demande n'explique pas
les goûts des consommateurs, mais explore en revanche les effets
des modifications de l'offre sur l'équilibre qui en découle
; la théorie keynésienne n'explique pas la demande courante,
mais prévoit comment la demande va augmenter ou diminuer, en réponse
à une politique gouvernementale donnée.
Compte tenu de ces limites, la méthode des économistes
a été à la fois productive et impérialiste.
" Les tendances impérialistes d'une discipline ne sont pas néfastes
pour les autres ; elles obligent celles-ci à recevoir, accepter,
modifier des points de vue, et à utiliser des concepts, des méthodes
et des techniques qui sont venus d'ailleurs. Elles reflètent l'impossibilité
d'une définition spécifique d'un champ de phénomènes
et, assez paradoxalement, l'unité de la démarche scientifique
" (Lichnerowicz, 1972, 122). L'économie a seulement besoin de recevoir
autant qu'elle donne.
Nous voyons donc que les deux disciplines les plus "
impérialistes " des sciences sociales, l'économie et la sociologie,
évoluent de façon différente. Les économistes
sont comme une horde mongole disciplinée, bien organisée,
qui cherche à conquérir les populations indigènes.
Quant aux sociologues, ils ressemblent aux migrations germaniques : des
masses désorganisées errant sans but sur tout un continent,
saccageant quelques capitales, avant de déménager à
nouveau, établissant des royaumes seulement pour une durée
limitée. Aujourd'hui, la sociologie est à son tour sujette
à l'invasion, parce qu'elle est divisée en écoles
idéologiques et sectes méthodologiques, ne pouvant ou ne
voulant pas résister aux envahisseurs de tous bords. Les économistes
devraient toutefois se souvenir que l'Empire mongol de Gengis Kahn a été
divisé entre ses descendants en une série de royaumes dispersés.
Ce passage en revue des disciplines nous a conduits à mettre en
question l'utilité du cadre existant de l'organisation universitaire.
Nous n'avons pas de réponse satisfaisante, mais
seulement des questions. Mais supposons que, dans un pays démocratique,
tous les départements de sociologie soient éliminés
pour une raison quelconque. Ceci n'est pas une pure conjecture. Après
la crise de Mai 68 en France, le nouveau ministre de l'Education nationale,
Edgar Faure (un professeur de droit), fut à l'origine d'une discussion
sur " ce qu'il fallait faire " à propos des sociologues, connus
pour être des non-conformistes, voire des trublions. Quelques-uns
ont suggéré la dispersion des sociologues, mais d'autres
ont craint que le virus ne se répande plus facilement de cette manière.
La solution sur laquelle on tomba d'accord fut de concentrer et d'isoler
certains d'entre eux, les installant dans une nouvelle université.
Ce fut une expérience de courte durée, mais qui montre que
notre conjecture n'est pas absurde ;ce que suggèrent aussi les efforts
répétés de l'administration Reagan, en vue d'éliminer
toutes les aides gouvernementales à la recherche en sociologie.
En fait, les contraintes financières peuvent avoir le même
effet : l'Université de Washington de Saint-Louis ferme progressivement
depuis 1989 son département de sociologie, et l'Université
de Columbia se débarrasse à la fois de la géographie
et de la linguistique (New York Times, 10 mai 1989).Si les hommes politiques
avaient réussi à éliminer la sociologie, que serait
il arrivé ? Tant que les autres sciences sociales auraient gardé
leur entière liberté, la recherche en sociologie aurait continué
comme avant, trouvant refuge dans d'autres disciplines. Les voisins de
la sociologie auraient été plutôt heureux d'accueillir
ces nouveaux venus ; 30 ou 40 nouveaux hybrides dans ces domaines en auraient
bientôt résulté, recouvrant les spécialités
hybrides qui existent aujourd'hui en sociologie. Seuls quelques sous-domaines,
comme les "Théories sociologiques" ou l'"Histoire de la Sociologie"
auraient souffert. Si l'anthropologie, l'histoire ou la science politique
devaient en être les victimes, la même prolifération
aurait lieu dans les disciplines avoisinantes. La démographie a
déjà été coupée en morceaux ; la philosophie
est dépossédée, la plupart de ses tâches étant
assumées ailleurs. La disparition de l'économie, de la psychologie
ou de la linguistique causerait plus de difficultés, mais qui ne
seraient pas insurmontables. Cette capacité d'adaptation et de survie
montre le caractère artificiel des frontières entre les disciplines.
Nous sommes habitués aux disciplines traditionnelles,
en partie à cause des divisions administratives des universités,
et en partie à cause de la fonction que remplissent les départements
dans l'enseignement.
Sur le terrain de la recherche, en revanche, de telles
divisions sont largement artificielles aujourd'hui.
Partie : 1
2
Notes
1-. L'innocation dans les Sciences
sociales, La marginalité créative. Mattei Dogan et Robert
Pahre, Coll. Sociologies, PUF, 1991.