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Au cours des premières étapes de la fragmentation, on peut voir des " géants ", hybrides alliant la philosophie à une nouvelle discipline. Ils profitent à la fois de l'aspect spéculatif et invérifiable de la philosophie, et de la nature de plus en plus scientifique du nouveau champ. Un bon exemple de ce phénomène est l'hybridation de la philosophie et de l'économie. F. A. Hayek suggère qu'"une liste des grands économistes britanniques, si on laisse seulement de côté deux de ces grandes figures, pourrait sans problème être considérée comme une liste de grands philosophes : Locke, Hume, Adam Smith, Bentham, James et John Stuart Mill, Samuel Bailev W. S. Jevons, Henry, Sedgwick, jusqu'à John Neville et John May nard Keynes,". On pourrait facilement multiplier les exemples pour d'autres disciplines et d'autres pays : par exemple Montesquieu et Auguste Comte étaient à la fois des Philosophes et des sociologues.
Conséquence de l'émancipation continuelle de ses différents fragments, la philosophie n'est plus aujourd'hui qu'une catégorie résiduelle, avec des sous catégories, comme la logique, l'histoire de la philosophie, l'éthique et la théorie des valeurs, la métaphysique et l'épistémologie. On peut se demander combien de temps celles ci vont encore exister, car la logique est en contact avec les mathématiques, l'informatique, et la linguistique ; l'histoire de la philosophie avec l'histoire intellectuelle ; l'éthique avec la théorie politique et l'économie sociale. Y a t il quelque chose de commun entre ces sous catégories qui justifierait le maintien de la philosophie comme un domaine où des économistes, des linguistes, et des spécialistes de l'histoire intellectuelle pourraient se rencontrer ?
F. A. Hayek (1956, 472) a suggéré un rôle pour la philosophie, du moins lorsqu'elle est en contact avec les sciences sociales, celui de développer l'éthique scientifique et l'épistémologie. Tous les spécialistes des sciences sociales sont concernés par les problèmes d'éthique, et les questions de méthode scientifique sont souvent des sources d'inquiétudes plus typiques des spécialistes en sciences sociales que des spécialistes en sciences naturelles. Si Hayek a raison, on devrait enseigner à tous les spécialistes au moins les rudiments de cette discipline.
La philosophie pourrait aussi évoluer vers ce qui est au delà des limites de la connaissance. Dans beaucoup de domaines la philosophie renoue avec des échanges avec les sciences naturelles, négligeant de plus en plus les sciences sociales. La rencontre entre la philosophie et certaines sous disciplines de la physique est fascinante. La physique quantique offre beaucoup de matière à réflexion pour la métaphysique. Le principe d'incertitude d'Heisenberg nous montre qu'il existe une relation entre ce que nous pouvons savoir de l'emplacement d'une particule et ce que nous pouvons savoir de ses mouvements. Le principe d'exclusion de Pauli préserve ces particules de la collision. Les électrons se déplacent d'un noyau d'énergie à un autre noyau d'énergie, sans être visibles dans le parcours entre les deux. Un mélange de particules de matière et d'antimatière d'origine inconnue peut apparaître seulement pour donner lieu à une collision, et disparaître à nouveau tout de suite après. De Gödel à Wittgenstein, en passant par d'autres, on peut trouver beaucoup de limites à la formalisation logique, des limites qui sont les os restant du repas des scientifiques, et que les philosophes pourraient ronger avec délectation. Dans tous ces domaines les problèmes philosophiques sont formidables.