Les conditions d'un nouveau jeu
dans le système social de l'organisation 1
Dans la continuité d'une interrogation, déjà
ancienne en sociologie, sur le rôle des structures de l’organisation
dans le fonctionnement du système des rapports humains de travail,
nous avons rencontré, de façon empirique, l'importance de
phénomènes culturels très souvent inconscients, dans
la régularisation des relations quotidiennes de pouvoir et de domination
en entreprise. Il nous est ainsi apparu que la forme d'organisation la
plus répandue dans le travail, l'organisation bureaucratique et
hiérarchique des fonctions et des individus, était loin d'être
soutenue par une large adhésion rationaliste aux impératifs
de la technique et de l'économie. L'analyse des intérêts
de classe appliquée aux rapports sociaux de production en entreprise
dénonce depuis longtemps les inégalités de salaire,
de conditions de travail et de perspectives d'avenir entretenues pas le
système capitaliste de gestion des entreprises ; mais, si les idéologies
s'affrontent à propos du pouvoir sur l'entreprise, le pouvoir formel
et informel exercé dans l'organisation n'est pas vu Comme source
de différences sociales importantes. Nous avons en fait découvert
que divers groupes de travailleurs, définis par une position comparable
de pouvoir en organisation, élaboraient chacun les éléments
d'une mentalité particulière à l'égard des
collègues, des chefs de l'entreprise et de l'action collective à
partir d'une réaction à l'expérience de ses relations
de travail : réaction dont la logique pouvait être située
dans une mise en cause des moyens sociaux de la reconnaissance de soi et
de son identité. La naissance et la croissance de la société
industrielle et de ses entreprises et administrations n'ont ainsi pu se
réaliser qu'en s'appuyant successivement et de façon parfois
conflictuelle sur le caractère intégratif de ces différentes
logiques culturelles de travailleurs profondément façonnés
par les conditions civiles et organisationnelles de leur existence sociale.
Où en sommes-nous de ces variations, intégratives
et conflictuelles tout à la fois, de cette réalité
d'apprentissage culturel sous-jacente aux rapports sociaux de production
? Conclure ici nos réflexions sur un domaine encore à peine
défriché ne peut se faire qu'en résumant nos investigations
et en faisant des hypothèses sur les formes à venir des organisations
qui pourraient en résulter.
1-. Une coexistence
de différentes logiques d’acteurs dans les organisations
Les principales différences culturelles issues
d 'une ancienne division du travail, contemporaine des débuts de
l'industrie, étaient certainement celles qui provenaient de l'exercice
d'un métier par opposition aux simples manoeuvres, et celles qui
s'originaient des milieux sociaux favorisés donnant accès
à la propriété des moyens de production, ainsi qu'aux
savoirs techniques supérieurs ; à ces clivages culturels
relativement extérieurs à l'organisation sont venues s'ajouter
de nouvelles sociabilités collectives avec la croissance des entreprises.
Fondée sur l'observation et l'enquête dans
plus de soixante-dix unités de travail distinctes (ateliers, laboratoires
ou bureaux) dans neuf entreprises de Paris et province, notre étude
a permis de constater la coexistence de types de sociabilités, nouvelles
par rapport à cette première division sociale et culturelle
dans le travail.
L'expertise, liée à l'exercice réel
d'une profession manuelle ou intellectuelle continue d 'engendrer un style
de vie collective fondée sur les échanges interpersonnels
nombreux, une vie de groupe réelle et capable de négociation
internes ou externes et une relative indépendance envers l, autorité
formelle de l'organisé. Autrefois principale richesse des ouvriers
de métier, cette solidarité du groupe s'étend aussi
de nos jours aux autres professions qui, avec l'extension du phénomène
d 'organisation, se sont développées aussi bien dans les
laboratoires, les bureaux d'études que les services fonctionnels.
L'entreprise tire de cette prolifération des catégories
d'experts une physionomie de lutte de clans autour du contrôle de
l'organisation pour réglementer la source du pouvoir de chaque expertise.
A cette extension des anciens privilèges d'experts,
l'organisé contemporain est venu ajouter une seconde dimension d
'apprentissage culturel, centrée sur la définition même
de la rationalité formelle.
Enserrant un nombre croissant d'individus dans un réseau
complexe de spécification de tâches et de communications,
l'organisé a fini par engendrer un nouveau type de sociabilité
chez les employés, les ouvriers spécialisés et même
chez les cadres, en conséquence de divers degrés de faiblesse
individuelle dans l'accès au pouvoir dans le travail. A partir d'une
plus ou moins grande difficulté a percevoir et faire accepter une
différence dans les échanges interpersonnels, cette forme
de vie sociale se manifeste par une double recherche de protection pour
l'individu. Du côté des collègues, c'est une vie de
groupe instable et contraignante qui, de la fusion a la strate,
représente des essais d'invention de collectivité
quand les possibilités d'expression interindividuelles sont bloquées.
Du côté du chef, c'est la valorisation des cadres officiels
de l'autorité hiérarchique et même syndicale qui permet
aux individus d'atteindre un minimum de sécurité et de protection
en face des détendeurs de pouvoirs importants.
Une troisième sorte d'univers culturel est venue
s'insérer entre les deux précédentes, en conséquence
directe, semble-t-il, des importants courants de mobilité sociale
et professionnelle qu'a provoqués la croissance du nombre et surtout
de la taille des entreprises. A rester dans une même maison sur une
ou plusieurs générations, on a progressivement gagné
la promotion dans l’organisé vers les bureaux .et vers les fonctions
d'encadrement et la promotion sociale correspondante en ce qui concerne
le niveau de vie économique et l'intégration urbaine ou scolaire.
Mais la réalité culturelle profonde de cette position évolutive
est une nécessaire perte de référence aux milieux
d'origine. Comme cette mobilité est d'abord la conséquence
des possibilités de promotion interne par l'entreprise, c'est en
son sein que l'on observe les éléments d'une nouvelle sociabilité.
Les « mobiles » sont en effet des gens d'abord marqués
par la perte de référence aux groupes d'où ils sont
partis et qui les ont souvent exclus. Venus d'un peu partout et communément
jalousés par leurs anciens pairs, les « mobiles » qui
sont nombreux dans les bureaux, laboratoires et échelons d'encadrement
subalternes, ont un double réflexe culturel : ils valorisent le
soutien que leur apporte la relation interpersonnelle sélective,
et ils s'appuient sur les chefs et l'entreprise qui peuvent leur offrir
un support et un refuge dans leur condition aventureuse. L'extraordinaire
développement des pratiques de relations humaines peut ainsi avoir
trouvé un écho privilégié dans les attentes
de soutien personnalisé et affectif que les entreprises engendraient
par les courants de promotion interne liés à leur propre
croissance.
Au panorama initial d'une lointaine époque industrielle
fondée sur la juxtaposition de privilèges issus de la fortune,
du savoir et du métier, l'extension du phénomène de
l'organisation est ainsi venue ajouter les conséquences culturelles
de l 'expérience même du travail au point de faire des difficultés
de compréhension culturelle l'un des principaux support de l'équilibre
des systèmes sociaux dans les ensembles organisés. Le particularisme
des logiques d 'acteur issu de la multiplicité des positions d'accès
au pouvoir en organisation est à notre avis l'une des conséquences
majeures de la période de croissance économique et de bouleversement
technologique dans les entreprises des vingt dernières années
qui ont suivi la phase de reconstruction d'après-guerre.
Mais ce pluralisme des identités collectives issu
de l'expérience du travail contemporain doit être complété
par l'observation récente de la montée d'un nouveau phénomène
dans les entreprises : celui du retrait individuel. L’analyse des styles
de relations au travail montre en effet que. pour beaucoup d'individus,
sans distinction d'échelons ou de grades. la sociabilité
de travail est rejetée ; la soumission au chef ou aux règles
bureaucratiques reste alors la principale liaison avec le milieu humain
de bureau ou d'atelier. Cette position de désengagement à
l’égard des collègues recouvre évidemment de nombreux
facteurs psychologiques. mais nous lui avons trouvé une caractéristique
commune, celle d'être profondément stratégique à
l'égard de possibilités d'investissements plus riches dans
d'autres univers de relations, où nombre d'individus disposent,
de nos jours, de meilleures possibilités d'accès à
la reconnaissance de leur identité personnelle. L'entreprise n'est
plus alors pour eux qu'une pure valeur économique au service d'activités
parallèles ou futures, dans la région, le pays d'origine,
ou le militantisme. Le retrait des relations de travail ne signifie pas
que les individus soient apathiques sur toute la ligne, mais bien plutôt
qu'ils ont les moyens d'imposer au travail certains éléments
de leurs stratégies personnelles externes.
Concurrencé par les conquêtes du droit au
travail, la protection élémentaire des individus, le mouvement
conduisant à certaine limitation de la pure rationalité économique
d'entreprise paraît ainsi avoir trouvé un nouvel essor dans
la prolifération des ressources stratégiques et des zones
d'investissement parallèles au travail.
L'importance de ce phénomène de retrait
des rapports humains entre collègues de travail n'est certes pas
indépendante des conséquences néfastes d'une excessive
simplification et bureaucratisation des tâches, conduisant leurs
occupants à préférer la vie extérieure à
la monotonie du travail. Mais, plus profondément, c'est le problème
même de la rationalité individuelle de chaque sujet installé
simultanément dans plusieurs univers de relation et de pouvoir qui
est ainsi en jeu.
Et les temps ne sont peut-être pas loin où
l'étude des processus sociaux de la reconnaissance individuelle,
c'est-à-dire en fin de compte de la santé mentale, deviendra
centrale à la compréhension des effets de l'entreprise sur
son propre dynamisme d'une part et sur celui des zones régionales
et locales d'autre part, là où l'individu se trouve en situation
concrète d'investissements relationnels simultanés.
Cette multiplicité des cultures apprises dans
les relations de travail a contribué à fonder l'équilibre
des systèmes sociaux de rapports collectifs en organisation, en
ce sens que les types de capacité stratégique et de luttes
collectives qui en résultaient finissaient par cristalliser les
rapports de pouvoir et de domination entre catégories de travailleurs
obligés de vivre ensemble.
Longtemps appuyés sur la possession d'un capital,
d'un savoir ou d'une profession, les moyens de la réalisation sociale
se sont ainsi enrichis de l'appartenance à une organisation, à
un statut, à une carrière, à une catégorie
d'homologues où l'on pouvait conquérir les éléments
d'un projet personnel mais aussi collectif.
Mais ces processus culturels de la réalisation
par le travail étaient largement tributaires de l'effort des sociétés
industrielles vers le développement de l'outil organisationnel et
de leur succès technique et économique. Avec la réussite
même de ces efforts et l'apparition de
nouvelles difficultés de croissance économique,
le paysage culturel de l 'entreprise risque de se transformer rapidement.
De nombreuses crises d'identités collectives en sont déjà
le signe.
2-. Crises d'identités
collectives au travail
Diverses modifications relativement récentes survenues
dans les entreprises et la société ont certainement perturbé
les données antérieures de l'apprentissage culturel dans
les organisations, créant ainsi un terrain favorable à la
découverte d'une nouvelle signification de l'organisé.
Le problème de l'émigration et du déracinement
culturel est ici central. La logique de l'émigré est de s'adapter
temporairement à Son poste de travail en ne réclamant que
de l'argent et de la santé, pour réaliser son projet de retour
au pays Ou d'installation dans la société civile et urbaine.
Tant qu'il vit cette condition d'arrivant, l'OS est le parfait support
de la théorie taylorienne qui lui assure sécurité
économique contre efficacité et rendement. Le déchirement
culturel lié au dépaysement récent vient s'ajouter
à la difficulté d'intégration à la vie sociale
de l'entreprise. Or, la société française sort tout
juste de l'émigration des campagnes vers les villes qui a fourni
une grande partie de la main-d'oeuvre ouvrière, tandis que l'ampleur
de l 'émigration étrangère finit par engendrer des
phénomènes d'intégration collective à l'univers
du travail. La fameuse question de l'évolution et de la carrière
individuelle anciennement réservée aux cadres et aux employés
est actuellement posée par tout le monde, parce que les investissements
parallèles dans l'ordre du logement, du niveau de vie, de la scolarisation,
de la langue, etc., ont été surmontés par beaucoup.
Les entreprises ne sont plus considérées comme de purs réservoirs
économiques, ou comme des lieux de protection où s'élabore
une lente et sûre promotion sociale sur plusieurs générations.
L'impatience d'évolution est plus grande car les moyens de s'imposer
dans les relations de travail sont plus développés de nos
jours pour le plus grand nombre.
Le problème posé par les jeunes issus d'une
scolarisation longue et d'un environnement familial et urbain ayant accordé
plus d'autonomie est un redoublement de la question précédente.
La lente initiation aux postes du métier selon le bon vouloir des
anciens n'est plus guère supportée, les capacités
d'apprentissage intellectuel et technique sont réelles et stimulées
par la durée scolaire autant que par le contenu des loisirs. Quel
que soit le niveau d'achèvement scolaire ou universitaire, une impatience
se fait jour à l'égard des trop lentes procédures
d'apprentissage et d'évolution offertes par les entreprises et administrations.
La contestation de tout ordre hiérarchique entérinant ces
formes d'organisation et les révoltes spontanément issues
de la base viennent remettre en cause la rationalité de toutes les
luttes collectives comme celle des théories du rapport hiérarchique
fondées sur l'attachement professionnel, l'organisation rationnelle,
la relation humaine ou le contrat du management.
Une véritable extension des phénomènes
de retrait, qui n'est pas indépendante de l'augmentation des moyens
d'action qu'une société développée offre à
ses membres, vient compliquer encore les relations d'autorité et
d'engagement collectif dans le travail en y introduisant la menace permanente
d'insoumission et d'autonomie relative par la passivité, le désintérêt
pour le travail et la protection prudente par le respect des règles.
Les doubles salaires de famille, associés à
la disparition lente mais réelle de certains taudis et courées,
créent pour nombre de mères, ouvrières ou employées,
un milieu humain de vie urbaine où les nécessités
de choix et les moyens d'action pour organiser la vie familiale sont bien
plus développés qu'au travail. Un autre temps, quand les
conditions favorables sont réunies, prend ainsi le pas sur celui
du travail. D'autres ressources, comme celles du temps de loisir et de
l'information venant de l'école et des mass media, ont certainement
une influence considérable sur l'implication de nombreux jeunes
dans les tâches d'exécution spécialisées et
sans avenir qui leur sont offertes. L'organisation, parallèlement
au travail, des activités culturelles, des loisirs, et d'action
syndicale ou politique, constitue pour beaucoup de jeunes et adultes une
zone d'investissements plus intenses que ceux des rapports de travail.
Les accords politiques sur l'immigration, ainsi que les facilités
des communications, permettent en outre aux immigrés de ne pas perdre
complètement de vue leur milieu d'origine et de continuer d'y situer
leurs projets essentiels, au point de vivre le plus en retrait possible
par rapport à leur milieu de travail. Enfin, il est clair que la
division sexuelle du travail, sans doute fondée sur une transposition
des rapports de couple dans les relations de commandement, est elle-même
remise en cause par la coéducation, le vote féminin, le double
salaire et le contrôle des naissances. La société a
longtemps affecté les postes économiquement et socialement
dépréciés aux travailleurs féminins, tandis
qu'à responsabilité égale la femme devait être
plus diplômée que l'homme. La conscience sociale, syndicale
et politique de tous ces phénomènes est en passe de faire
tomber l'a priori du retrait féminin à l'égard des
investissements professionnels. Et c'est un des principes sous-jacents
de l'ancienne rationalité du travail qui, en perdant son fondement,
risque d'ouvrir une interrogation d'une ampleur sans précédent
sur les processus de recrutement, de carrière et même de profils
de poste.
Dans l'ordre des structures internes d'organisation,
des situations nouvelles sont à l'origine de crises d'idéologies
et de valeurs collectives, au point que la formalisation de grades, compétences
et procédures ne signifie plus grand-chose, et que de nombreuses
zones de rapports informels réintroduisent finalement l'arbitraire
dans les rapports de travail. C'est probablement même l'une des raisons
pour lesquelles les analyses de rapports de pouvoir sont généralement
prisées à l'heure actuelle, puisqu'elles tendent a faire
comprendre
l'ampleur des déformations apportées à
la structure rationnelle des organisations.
Le métier et la compétence d'expert ont
été fréquemment remis en cause par la fréquence
des changements techniques, et l'effort constant de standardisation des
procédures. Les rapports de travail tout le long de la hiérarchie
et jusqu'aux niveaux du management sont envahis de luttes clandestines
entre clans, castes, corps et professions, qui défendent chacun
la suprématie de leur pouvoir d'expert. Il y a ainsi un décalage
croissant entre le recrutement et la formation professionnelle fondée
sur une scolarisation d’écoles spécialisées par techniques
ou métiers, et la réalité des mouvements de compétence
ou d, expertise liés aux aléas de la technologie et du commerce.
Le développement des activités de formation permanente vient
encore augmenter cette fluctuation des frontières culturelles liées
à l'exercice d'un savoir.
La croissance des entreprises par fusions, absorptions
et concentrations géographiques pour des raisons de santé
économique, de technologie et de marché, n'a probablement
fait qu'amplifier ce phénomène de conflits d'experts, en
le doublant de conflits entre établissements initialement indépendants
où l’on retrouve les termes de colonialisme, de la féodalité
et des guerres nationales pour rendre compte de tous ces imbroglios. Les
efforts de super-experts en organisation pour rationaliser quelque peu
ces grands ensembles, parfois multinationaux, n'ont abouti bien souvent
qu'à recouvrir ces ensembles par des pyramides d'états-majors
eux-mêmes coupés de la réalité. Et c'est, aussi
paradoxal que cela puisse paraître, dans les liaisons informelles
que la communication est souvent la plus efficace .L'extraordinaire souci
de rationalisation des procédures de travail et de hiérarchie
des fonctions a finalement porté un coup fatal au thème de
l'intégration fondé sur la promotion au mérite doublé
d'une attention personnalisée. Les phénomènes de stagnation
par strates ont eu pour effet second de décourager toute politique
fondée sur les relations humaines, dans la mesure où le système
de récompense bute sur les impasses de la promotion pyramidale.
Dès que la croissance initiale des petites entreprises les fait
accéder à des tailles importantes, la logique bureaucratique
des protections par strates vient ainsi redoubler l'ampleur des phénomènes
d'arbitraire qui se développent sous le couvert de réglementations
tatillonnes.
La reconnaissance politique des institutions syndicales
et de représentation du personnel en entreprise, qui pour beaucoup
d'entre elles n'a finalement résulté que de mouvements sociaux
postérieurs à mai 1968, contribue à modifier l'équilibre
réel des pouvoirs. Pour nombres de questions concernant le personnel,
la décision est préparée en commissions de formation
permanente, conditions de travail, hygiène et sécurité,
oeuvres sociales et parfois promotion ou recrutement.
De nouveaux spécialistes tirent leur importance
nouvelle de l'attention portée aux problèmes du personnel
: les formateurs, les travailleurs sociaux, les psychologues, les médecins
du travail, les permanents syndicaux, des responsables de l'information
sont autant de fonctions nouvelles qui viennent compliquer et diversifier
les anciens jeux de pouvoir entre experts chefs et subordonnés.
Pour toutes ces raisons internes et externes à l'entreprise, ce
sont toutes les logiques culturelles d'acteur précédemment
analysées qui sont menacées par des crises d'identité
collective liées à la perturbation de leurs anciens moyens
d'apprentissage culturel dans le travail. Le métier, le statut,
la carrière, l'esprit maison, le grade ne sont plus des valeurs
sûres, quand les certitudes de pouvoir que ces positions recouvraient
sont remises en cause. L'organisation bureaucratique et hiérarchique
du travail est de plus en plus considérée comme le lieu des
arbitraires de pouvoir, le prétexte au maintien des hiérarchies
de salaires, et le témoin dépassé d'une société
industrielle, où l'ordre reposait en fin de compte sur la croissance
économique, la promotion sociale et l'émigration rurale.
Il est possible d'affirmer que l'ordre hiérarchique maintes fois
repensé au cours de l'histoire industrielle est à nouveau
en crise. Les expériences de travail sont tellement décalées
de leurs traductions réglementaires et formelles, par les conditions
nouvelles d'évolution des atouts des acteurs dans les relations
en organisation, que les anciennes théories de l'ordre et valeurs
de l'action collectives sont en crise. On peut même soutenir l’idée
que les sciences sociales et humaines sont à la fois demandées
et craintes car elles permettent d'éclairer ce décalage tout
en mettant en cause l'ordre ancien.
3-. Les conditions d'un nouveau
jeu de pouvoir
Nos travaux n'ont guère porté sur des entreprises
vraiment nouvelles où les crises d 'identité collective auraient
été surmontées par des formes d'organisation permettant
des apprentissages culturels plus en rapport avec les conditions de vie
et de relations contemporaines. Passée la phase du constat d'échec
des structures de la croissance à l'égard de rapports sociaux
plus équilibrés dans le travail, la société
civile et professionnelle reste affrontée à une tâche
urgente d'invention organisationnelle et d'expérimentation sur elle-même.
Ce mouvement est d'ailleurs déjà entamé et différents
courants de réflexion et d'action sur les structures du travail
apportent des éléments de réponse, disparates certes
et incomplets, mais à notre avis convergents, à ce nouveau
débat d'une société en quête des formes organisées
de son avenir. C'est ainsi que, dans les grandes entreprises, on s'interroge
et on expérimente sur les conditions d'exercices plus autonomes
des tâches d'exécution. On développe également,
sous l'impulsion légale, une pratique de formation permanente en
s'interrogeant parfois sur la redéfinition des statuts et des fonctions
qui pourrait en résulter. Le mouvement centenaire des coopératives
de production trouve un regain d'attention pour les pratiques en matière
d'information et de décision qu'il s'est efforce de développer
dans les entreprises moyennes et artisanales. Certaines
entreprises ont parfois laissé se développer un rôle
important des syndicats ou du comité d, établissement dans
le domaine de la gestion du personnel et des productions. On peut avancer
que ces pratiques de participation ont des motifs variés ; nous
les avons rencontrées dans des situations particulières ayant
entraîné une redistribution des pouvoirs de fait entre la
hiérarchie, les syndicats et le personnel d'exécution. Nombre
d'établissements de base de grands groupes industriels sont en réalité
dirigés par une sorte d'intégration conflictuelle du syndicat
qui, pour des raisons tenant à l'histoire de l'entreprise et de
l'environnement, contrôle fortement la capacité d'action collective
du personnel. Ce dernier est alors géré par une sorte de
négociation paritaire ininterrompue.
Dans d'autres cas, et pour mener à bien une politique
d'expansion simultanée sur le plan technologique, organisationnel
et commercial, des directions doivent compter avec un personnel dont les
capacités d'évolution et d'invention peuvent être plus
Ou moins prêtées à cet effort de croissance : c'est
ce que nous avons observé dans une de nos enquêtes.
L’entreprise de fabrication de peinture parait fonctionner
sur la reconnaissance d 'une participation des membres de l'atelier, du
bureau et du laboratoire, qui prend la forme d, une négociation
permanente au comité d'entreprise entre la direction et les élus
du personnel à propos des problèmes de la gestion courante
de l'entreprise, ainsi que d'une active participation du personnel aux
commissions de travail du comité d'entreprise portant sur les promotions,
la rémunération, la sécurité, la formation,
l'information et les activités sociales du comité. Cette
participation négociée, admise par les syndicats et voulue
par la direction dans une optique de management, est même si efficace,
que les chefs d’atelier ont dû se syndicaliser pour être informés
des débats du comité sur la vie de l’entreprise, Sous peine
d 'être constamment en retard sur les représentants du personnel
en matière d 'informations concernant directement le fonctionnement
des ateliers. Le département électronique de l’entreprise
électrotechnique est un exemple moins élaboré de négociation
formalisée que celui de l'entreprise de fabrication de peinture,
mais divers éléments sont quand même réunis
pour que l'on puisse parler de partage réel de la gestion. Nous
avons déjà signalé les caractéristiques de
cette entreprise de cent personnes confrontée au problème
du passage des prototypes à la fabrication standardisée,
dans le cadre géographique d'une usine toute neuve. L'entreprise
offre à son personnel de réelles perspectives d’apprentissage
technique et de promotion personnelle des ateliers vers les bureaux d'études,
et à l'intérieur même des échelons de techniciens.
Le personnel est donc composé d, agents techniques, d'ouvriers de
type nouveau professionnel, de quelques jeunes ouvriers et de nombreux
cadres. Un certain équilibre culturel s'instaure ainsi entre la
majorité des membres de l'usine. Il s'agit en fait d'un ensemble
humain de techniciens et ingénieurs où les communications
sont facilitées par les échanges d'études sur l'électronique.
La direction a accepté cette situation et favorise l'homogénéité
et les contacts entre les ateliers et les bureaux. L'usine moderne a de
plus été dessinée pour aider ces échanges et
diminuer les inégalités de conditions de travail. Dans un
tel contexte, plusieurs indices montrent qu'un début de négociation
se réalise dans les faits.
Les ouvriers participent aux réunions d'information
sur le contenu du travail avec les agents de maîtrise, et les syndicalistes
ont fini par accepter ce type d'échanges. La gestion prévisionnelle
fait descendre les responsabilités d'investissement jusqu'à
la maîtrise et impose de multiples échanges entre services
avant de prendre les décisions, Et c'est dans cet ensemble que le
syndicalisme des cadres est plus développé que dans les autres
départements. Or, ces cadres dans leur travail sont responsables
de la gestion, et dans leurs réponses aux questionnaires, ils attribuent
de réelles préoccupations gestionnaires à l'activité
syndicale. Leurs débats de section ont ainsi une forte orientation
vers l'étude du développement de l'entreprise. Ce département
en arrive ainsi à poser de façon très empirique le
problème du partage de pouvoir entre la filière hiérarchique
et la filière syndicale, puisque leur objectif commun est l'action
dans et sur les structures de l'entreprise. Les formules de négociation
permanente et officielle n'ont pas encore été clairement
inventées au moment de l'enquête et il faut d'ailleurs resituer
cette expérience originale dans le contexte d'un groupe industriel
qui ne vit pas ces problèmes dans la plupart de ses autres usines.
Exemple incomplet de participation à la gestion, ce département
d'électronique montre quand même que les conditions culturelles
d 'une élaboration des structures de négociation peuvent
être réunies aussi bien dans la grande entreprise que dans
les petites entreprises.
Le socialisme autogestionnaire trouve également
un nouvel essor politique dans le constat maintenant établi des
inégalités sociales entretenues par le développement
des appareils d’organisation rationnelle et hiérarchique. Mais cette
évolution politique se double d'une conscience nouvelle des difficultés
qu'il y a à régler le problème de la décision
et de la distribution du pouvoir dans un contexte même intentionnellement
autogestionnaire ; les expériences yougoslaves, cubaines, chiliennes,
algériennes et à présent portugaises sont là
pour entretenir le caractère sérieux et urgent de telles
réflexions. Dans les secteurs plus éloignés de la
production économique comme l'éducation, la santé
mentale ou l'action culturelle et sociale, il est certain que la recherche
active sur les structures et les institutions se développe sous
forme d 'organisations participatives et d'informations critiques sur l'effet
des structures en matière de santé, d'enseignement ou d'animation.
Mais, là encore, les expériences sont récentes et
souvent guettées par la tentation bureaucratique ou le paternalisme
des fondateurs charismatiques. Tous ces efforts même insuffisants
et dispersés manifestent l'apparition d'un mouvement de prise de
conscience collective de l'importance du nouvel enjeu social que constituent
de nos jours les
formes de l'organisation des activités de production
mais aussi de services. Nul doute que les sciences sociales n'aient un
rôle essentiel à jouer dans cet effort d'invention et d'expérimentation
structurelle en permettant d’accélérer et d'affiner le diagnostic
des interdépendances entre les structures d'organisation et les
rapports sociaux. Sans être en mesure de proposer ni un modèle
idéal d, organisation à fonctionnement plus collectif et
plus fondé sur la complexité culturelle des travailleurs,
ni un plan concret de réformes pour ceux qui voudraient transformer
l'entreprise, je voudrais terminer cet ouvrage par l'évocation des
grandes lignes d'un possible mouvement dialectique entre la culture des
acteurs sociaux et les structures de l'organisation du travail, qui vont
très probablement occuper la scène des débats et des
actes à propos de l'entreprise à venir. Face à la
pluralité des effets culturels inattendus du travail et face au
problème d'une coexistence reconnue de logiques d'acteur variées
disposant chacun d’une part non négligeable de pouvoir formel et
informel, l'entreprise à venir doit considérer que l'une
de ses incertitudes majeures est déjà et sera de plus en
plus la compréhension et la prévision de la conduite des
groupes humains. Savoir qui est l'autre ; ce partenaire de travail avec
lequel il faut bien entrer en relation puisque l'on oeuvre ensemble, connaître
sa culture, ses réactions probables, ses idées, son degré
d'investissement dans l'entreprise, telles seront les incertitudes qui
pèseront sur l'élaboration de toute rationalité collective.
Plus nous allons vers la reconnaissance de la dimension réellement
stratégique des membres d'une organisation, plus nous sommes conduits
à affronter toute l'autonomie culturelle de leurs diverses logiques
d'acteur et plus il faut centrer les efforts d'organisation sur la considération
de ce pluralisme, de ses sources et de ses effets. Un double mouvement
dialectique entre les structures d'organisation et la culture des acteurs
sociaux tend alors à s'instaurer dans une voie de recherches et
d'expérimentation sur l'entreprise. D'une part l'influence du pluralisme
culturel des travailleurs oblige l'entreprise à développer
des mécanismes de rencontre, d'échanges d'information et
de négociation pour que les décisions et les conduites conservent
une rationalité collective. D’autre part cet approfondissement des
échanges accroît la Perception des différences culturelles
collectives mais aussi interpersonnelles, et l'entreprise doit développer
des structures de diagnostic, d'apprentissage et de mobilité permettant
aux individus de ne pas bloquer les mécanismes de la décision
par des crises d, identité et la quête affolée des
moyens bureaucratiques pour se préserver du trouble mental qui en
résulterait. La première période de ce mouvement dialectique
des rapports entre les structures et les cultures s, appuie en fait sur
une phase antérieure de l'histoire des organisations ; phase que
nous avons essayé de décrire et d'expliquer tout au long
de cet ouvrage et qui se caractérisait par le constat, maintes fois
refait, d'une insuffisance des analyses économiques et techniques
du travail pour aboutir à des conduites rationnelles dans le système
social des organisations contemporaines, où les travailleurs de
l'industrie et des administrations ont d'autres moyens d'expression et
d'autres préoccupations que ceux des masses de manoeuvre du début
de l'ère industrielle. Nous partons donc de la mise en cause des
modalités anciennes d'organisation du travail par la reconnaissance
des inégalités et différences culturelles entre acteurs
du système social d'entreprise, où le pouvoir a cessé
d'être contenu et exprimé par la seule réalité
des organigrammes pyramidaux. Il nous semble alors qu'étant donné
la multiplicité des ressources matérielles et intellectuelles
de la très grande majorité des acteurs, le problème
de la règle doit tenir compte dans son élaboration et Son
contrôle de l'extraordinaire complexité stratégique
des acteurs, qu'ils soient concepteurs, décideurs ou exécutants.
C'est, en d'autres termes, la négociation qui doit être placée
au coeur de la réflexion sur les structures quotidiennes de travail.
Trop longtemps évacuée vers les hautes sphères d'états-majors,
ou vers les rencontres entre représentants de la direction et du
personnel, souvent loin de leurs bases et centrés sur des choix
surtout quantitatifs, la négociation préalable aux décisions
sur les aspects les plus fréquents du travail doit être instaurée
pour tenir compte de la multiplicité réelle des logiques
d'acteur, c'est la seule manière d'augmenter la rationalité
des décisions. Le développement des méthodes et des
institutions de négociation, à propos de la gestion du personnel
et de la gestion des productions et des investissements, que seules de
nombreuses expérimentations permettront de réussir, entreprise
par entreprise, rencontrera alors un double obstacle dans les rapports
humains, C'est tout d'abord la fonction d'information qui devient indispensable
au bon fonctionnement des débats collectifs. Le risque est en effet
permanent de réduire les assemblées générales
ou partielles à de simples chambres d'enregistrement, parce que
les informations pertinentes sont échangées dans les couloirs
entre personnalités influentes. Fournir des informations utiles
aux partenaires formels de la négociation est une condition primordiale
pour qu'ils en soient aussi des acteurs réels. Penser le coût
et les formes concrètes du passage de l'information dans des commissions
ou des rencontres est ainsi une tâche prioritaire de toute entreprise
qui se voudrait inventive. Mais une seconde difficulté attend les
défenseurs des mécanismes négociés de la décision
: ce sont les différences culturelles qui risquent de bloquer la
compréhension entre acteurs sociaux même également
informés. Les formateurs et les psycho-sociologues animant des groupes
d'expression en entreprise ont souvent rencontre ce phénomène
des incompréhensions liées aux différences de langage,
certes, mais plus profondément de capacités d'expression
et de significations attribuées aux mots et aux actes des autres.
Le fait d'avoir des intérêts économiques voisins ne
suffit pas à estomper ces obstacles à la communication, qui
viennent très souvent de ces logiques d'acteur inconscientes, lentement
apprise dans l'expérience des relations de travail. C'est également
le but des militants syndicalistes que de s'affronter en permanence à
ces inégalités et diversités culturelles dans leurs
efforts pour constituer une logique d'action collective, dès qu'ils
s'adressent à des publics qui débordent une même position
de travail en organisation. Quand des rudiments de négociation deviennent
opératoires, c'est qu'une certaine forme d'homogénéité
culturelle a pu être réalisée. Des entreprises américaines
soucieuses de développer un débat permanent entre les cadres
et les techniciens, pour mieux serrer de près les exigences commerciales
des clients, ont eu l'intuition de ce phénomène en s'efforçant
de développer un modèle culturel commun par la formation
et le recrutement psychologique d'individualité au même profil
de « battant ». Dans les deux entreprises, de peinture et d'électrotechnique,
où nous avons constaté un taux réel de négociation
à propos des décisions de gestion du personnel et de la production,
cette homogénéité culturelle était réalisée
de fait par une longue pratique de formation permanente dans le premier
cas et par le haut degré de technicité commune entre le personnel,
essentiellement ingénieurs et projeteurs, dans le second cas. La
lutte contre de trop fortes inégalités culturelles est ainsi
un second impératif de la négociation. Le problème
n'est probablement pas tant de réaliser une mentalité uniforme
par de l'endoctrinement et de la sélection sur profil, car on risque
alors de vider les négociations de la dynamique des échanges
entre personnalités et groupes humains différents. Le problème
est plutôt de faire reconnaître les préoccupations inhérentes
à chaque logique d'acteur ; de mieux réaliser les processus
de façonnement de ces diversités culturelles par l’expérience
des rapports de travail dans les structures d’organisation du moment et
de mieux faire admettre les différences de conduites collectives
d'intérêts, de rythme d'évolution, et de blocages à
l'expression qui ne peuvent qu'envahir dans un premier temps les communications
entre groupes d 'acteurs ayant vécu diverses expériences
d'apprentissage culturel. La formation permanente peut avoir un rôle
extrêmement positif dans cette voie, de même que toutes les
expériences en cours sur les formes d'organisation visant à
décloisonner les individus et à favoriser la réflexion
collective sur les conditions du travail. Au terme de cette première
période du mouvement dialectique des rapports entre la culture et
les structures de travail, nous trouvons alors une formule d'entreprise
capable de fonder la rationalité de ses décisions sur une
participation accrue et négociée entre ses exécutants,
ses cadres et des divers représentants catégoriels et syndicaux.
Mais cet état, déjà partiellement atteint dans des
cas encore particuliers et limités, n'est pas pour autant un état
d'équilibre et d'harmonie utopique, un second mouvement, mais cette
fois-ci en sens inverse risque de S'amorcer très vite. Nous venons
de considérer les effets de la reconnaissance des diversités
culturelles apprises dans l’organisation traditionnelle du travail sur
les structures de la décision négociée. Nous allons
à présent rencontrer les effets encore plus cachés
de ces échanges dans le travail sur le contenu même de la
culture et des logiques d'acteur. A force de vouloir faire se rapprocher
des retraitistes, des ouvriers à comportement unanimiste, des évolutifs,
des professionnels, des cadres et des employés plus ou moins intégrés,
etc., on risque d'accroître la découverte des différences
culturelles, des inégalités interpersonnelles, des diversités
d'expression au point de renvoyer chacun à s'interroger sur soi-même
et sur ses fidélités antérieures. C’est même
là un des effets souvent constatés de la formation permanente
que de provoquer une évolution considérable des structures
mentales quand les relations d'enseignement et d'apprentissage ont été
suffisamment longues et intenses. A vivre des modalités nouvelles
d'échanges, de négociation et d'information dans le travail,
l'acteur social risque la cohérence antérieure de ses systèmes
de représentations, de ses références affectives,
sociales et culturelles et parfois même de sa santé mentale.
La négociation doit alors intégrer au débat sur la
rationalité collective une nouvelle dimension qui, cette fois-ci,
porte directement sur les divergences entre logiques d'acteur collectifs
et logiques d'acteurs individuels. De nouvelles capacités de diagnostics
deviennent nécessaires pour évaluer les conséquences
des décisions. Les effets des structures du travail ne peuvent plus
être analysés par rapport aux seules positions internes à
l'organisation. L'acteur social est unique et constitue sa propre rationalité
dans l'ensemble de ses univers sociaux d'investissement où il dispose
de relations et de modalités d'exercice du pouvoir. Le problème
du diagnostic social et culturel sera alors de repérer la part de
développement du sujet que l'on ne peut éviter d'intégrer
aux préoccupations du collectif de travail. Longtemps laissée
au hasard des intuitions individuelles, cette fonction de connaissance
de l'environnement du personnel de l'entreprise et pas seulement du réseau
des alliés et concurrents commerciaux, chasse gardée du marketing,
deviendra une nouvelle fonction d étude et d, analyse sociale indispensable
à la découverte d'une rationalité commune entre acteurs
capables d'imposer leurs différences. Les corollaires d'un développement
des études et recherches appliquées aux conséquences
culturelles complexes des formes de l'organisation seront alors l'ouverture
des frontières de l'entreprise sur les voies concrètes d'une
mobilité des personnes en fonction des possibilités d'apprentissage
stimulées et renouvelées par une telle expérience
du travail. Un tel scénario n'a évidemment rien d'un programme
d'action, il traduit simplement notre intime conviction que l’organisation
a pris tant de place dans la vie sociale de notre époque qu'on ne
peut plus limiter la considération de ses effets aux seuls domaines
de l'économie et de la technique ; quand une société
s'est aventurée aux confins de l'aménagement de ses forces
matérielles, il lui reste a s'interroger consciemment sur les réalités
culturelles qu'elle a produites sans le savoir.
Note
1-.Ce texte est la conclusion de
L'identité au travail, Renaud SAINSAULIEU, Presses de la
Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1988.