Il s'agit de décrire le secteur où est
l'observateur, non toute l'entreprise. On peut remonter du secteur à
l'entre prise, en particulier pour en décrire la culture.
A. Description globale
Avant de commencer une analyse stratégique, il
faut décrire avec beaucoup de précision le produit de l'entre
prise ou de l'administration ou du service, la gestion de cette production
et enfin les règles que se sont données les acteurs et qui
constituent le construit social. La tentation est grande, en effet, de
se précipiter en partant de l'organigramme sur la description des
acteurs, de les mettre en relation à travers leurs inévitables
relations de pouvoir et de penser ainsi avoir compris le fonctionnement
de l'ensemble. On aboutit en fait à une description qui est une
caricature de l'analyse stratégique : les acteurs sont extraits
de l'organigramme (alors qu'ils existent à travers le type de règles
qu'ils se sont données), ils sont figés et non mouvants comme
le veut le principe que ce soit l'action qui définisse l'acteur
et non seulement sa place dans l'organisation. Surtout l'entreprise alors
n'est pas étudiée comme un construit où les règles
constituent un système d'action concret, les acteurs ayant intégré
les contraintes du produit et ayant bâti le système. En ne
se donnant pas la peine de décrire le système d'action concret,
on en arrive à ne parler que du jeu de pouvoir des principaux acteurs,
sans le référer au système. Or ce jeu n'est que la
partie visible de l'iceberg : il n'existe que parce que derrière
lui les contraintes de l'action ont amené les acteurs à bâtir
un système d'action qui donne leur sens à leurs conflits
de pouvoir. Analyser l'entreprise ainsi, c'est la décrire comme
le lieu de l'affrontement d'acteurs indépendamment du système
dans lequel ils sont, système qui est lui-même structuré
à partir des contraintes qu'il engendre. Ces contraintes sont bien
entendu insuffisantes à décrire le système de relations
et d'alliances : l'organisation reste un construit contingent. Mais ces
contraintes ont été les éléments de base du
construit. Donnons une image S'en tenir au jeu des acteurs et concrètement
l'expérience pédagogique nous a montré que ce type
de description amène à ne prendre en compte que les principaux
acteurs. le sommet de l'organigramme c'est décrire, par exemple,
la France du XVIIIe siècle à partir de la Cour de Versailles,
voire des maîtresses du Roi, sans prendre en compte ni l'état
du pays. ni le système de règles construit dans l'histoire
et sur lequel fonctionne le royaume. Or les intrigues de la Cour ne sont
significatives que dans la mesure où elles s'appuient sur un système
de règles la Cour. les Ordres, les Parlements, les sources de pouvoir
et de richesse, etc. qui leur donnent leur sens. La Cour, le Roi, les princes,
leurs intrigues sont l'émergence du système de l'absolutisme
royal bâti pour répondre à des contraintes objectives.
C'est ce système d'action concret qu'il faut mettre en évidence
et relier aux conflits de la Cour qui ne prennent leur vrai sens que par
rapport à lui.
1. Le produit
Pour se garder de cette tentative de réduction
de l'analyse stratégique, le plus sûr est de partir du produit.
Celui-ci peut être facilement identifiable ou peut l'être moins,
sa fonction apparente n'étant pas forcément sa fonction réelle
(Quel est le produit de l'école ? Le nombre d'élèves
qui réussissent le baccalauréat ou bien un système
de socialisation ou de reproduction ?). Dans le cas de l'entreprise, on
partira de la définition fonctionnelle du produit : des voitures,
ou un service financier aux particuliers, ou le malade, en n'oubliant pas
l'aspect restrictif de cette définition. Un tel point de départ
de la démarche impose de ne pas oublier que le jeu des acteurs va
se structurer autour de ce qui est perçu, par les uns et les autres,
à la fois comme une contrainte, comme le lieu de la construction
des logiques d'action et comme la base du système d'action concret
des alliances et des règles. Il convient donc de partir d'une description
précise du produit. Celui-ci peut être un produit industriel
classique, mais aussi un service marchand ou non (gestion d'un portefeuille
tout autant que fonctionnement d'un hôpital, etc. ). Décrire
le circuit du produit (flux, matières, informations) dans l'entreprise
et/ou hors entreprise s'il y a des sous-traitants dans la chaîne
de production. Bien dégager les opérations valorisées
par l'environnement ou par les acteurs dans l'entreprise (" ce qui est
monté en épingle " " Ici, le polissage, c'est la partie importante
" Qui dit cela ? Est-ce l'avis de tout le monde ? ", ou bien les commerciaux
dans une banque par rapport aux administratifs, ou encore les opérations
de pointe dans tel secteur particulier, etc. ).
2. Données générales
Branche, taille, situation juridique, localisation géographique.
Données économiques sur quelques années : CA, investissements,
mesure des bénéfices, marges, outils de gestion. Histoire
de l'entreprise. La tradition, les événements récents,
la culture, c'est-à-dire le système concret des relations
dans le secteur de l'observateur ou plus largement si c'est possible. Fusion,
absorption, diversifications, etc. Les stratégies de l'entreprise
pesant sur le secteur. Les choix potentiellement possibles, ceux qui semblent
devoir être adoptés, ceux qui sont soutenus par tel ou tel
acteur (un décideur, le chef, des salariés dans une situation
stratégique, etc. ). Salariés : âge, sexe, ancienneté,
origine, qualification, changements récents.
Syndicalisme et relations professionnelles. Décrire
le type de gestion du personnel. Évaluer le climat social. Le marché
et la pression de la concurrence. Les éIéments de variation
dus au marché, aux technologies, au changement d'organisation, etc.
B. Description de l'organisation formelle
1 Repérer : le système de division du travail
et de répartition des tâches. Oui fait quoi ? La définition
des statuts et des rôles, celle des fonctions : leur précision
ou l'absence de précision. Le système hiérarchique.
Les communications. Le système de contribution-rétribution.
En particulier, le système de sanctions ou son absence. Essayer
de savoir dans quelle mesure il fonctionne. ? Pour ce repérage,
le plus simple est de partir de l'organigramme. Le faire pour la partie
de l'entreprise observée par le stagiaire. Mais partir de l'organigramme
ne veut pas dire y rester. Très vite, il faudra parvenir à
s'en détacher pour décrire les traits majeurs du système
d'action concret, les zones d'incertitude et localiser le pouvoir. 3. Analyser
le circuit officiel des procédures. Par exemple, une commande ou
une livraison, ou l'exécution d'une pièce. Oui doit recevoir
la demande, doit ou ne doit pas la discuter. A qui la transmet-il (souvent
plusieurs personnes concernées) ? Oui est responsable de quoi ?
Y a-t-il des communications entre les différents responsables de
l'exécution ? A qui faut-il rendre compte, etc. ?Faire cette analyse
aussi, si possible, à l'occasion d'une relation non de production,
mais concernant les statuts, Comment doivent se passer les choses à
l'occasion d'un remplacement, d'une promotion ou d'une mutation ? Oui doit
être informé, qui doit décider, qui est consulté
? Il est toujours intéressant d'analyser de près le système
d'évaluation du travail, celui de la promotion, éventuelle-
ment la formation donnée à l'occasion d'une promotion. On
y voit apparaître le système de valeur d'une entreprise (par
exemple les commerciaux et les technico-commerciaux d'IBM reçoivent
une formation maison qui dure près d'une année), l'acceptation
commune de ces valeurs par le groupe. Sur quels critères un supérieur
est-il promu ? Y a-t-il un système de règles implicites et/ou
explicites, formelles et/ou informelles, souples ou rigides, bÙreaucratiques
ou non, etc. ? La culture d'une entreprise peut apparaître dans la
partie de son fonctionnement qui est codifiée ou, au contraire,
dans les raisons d'une noncodification. Il y a en effet des entreprises
qui choisissent de ne pas avoir d'organigramme. Si c'est le cas, se demander
pourquoi. Par exemple, dans une entreprise moyenne de type paternaliste,
le dirigeant peut préférer avoir l'organigramme en tête
et ne pas chercher à le communiquer.
C. Description du fonctionnement informel
Ici, on va essayer de comprendre comment les choses se
passent réellement et mesurer l'écart formel-informel.
1. Après avoir vu les circuits réels (§
B) et en les gardant bien en tête, analyser une relation imprévue,
par exemple une commande inhabituelle, ou une panne exceptionnelle, etc.
Voir alors comment les relations formelles sont court-circuitées
ou ne le sont pas, ce qui se passe, comment fonctionnent les systèmes
hiérarchiques et de communication. Analyser un événement
qui a donné lieu à une relation conflictuelle. Par exemple,
des consignes mal transmises entraînant une mauvaise fabrication.
Décrire comment se sont passées les choses, qui a arbitré
et dans quel sens. Montrer comment, concrètement, fonctionne l'organisation.
Les dispositions formelles sont-elles respectées ? et sinon pourquoi
? au profit de qui ?
2. Une méthode d'approche de cet informel peut
consister à partir des rapports affectifs entre les individus et
surtout entre les groupes. Tel groupe est-il indifférent, agressif
et hostile. sympathique vis-à-vis de tel autre ? Les jugements de
compétence recouvrent-ils de véritables incompétences
ou le souhait de politiques différentes ?L'hypothèse sous-jacente
à cette approche est qu'une relation de compétition non reconnue
formellement engendre une très forte tension, qui se traduit par
une grande agressivité : celle-ci n'est donc pas utilisée
comme l'indicateur d'une affinité naturelle mais comme celui d'une
relation de pouvoir.
D. L'acteur et le système
Au bout du compte, il s'agira de décrire l'entreprise
ou le secteur en termes de système et de système interdépendant.
Ce qui veut dire concrètement comment, par quels ajustements, à
travers quels ensembles de règles formelles et informelles se résolvent
les problèmes quotidiens de l'entreprise. l Au départ, lister
les acteurs. Mais les acteurs ne sont pas forcément des personnes
physiques individualisées. Un acteur peut être un service
ou une équipe ou une section syndicale ou un groupe de personnes.
Si l'on veut analyser l'ensemble, il faut en donner la liste exhaustive
(encore une fois, dans le secteur observé). Si l'on veut analyser
une action (telle décision ou tel changement), ne lister que les
acteurs qui y ont participé. Tenter de définir leurs objectifs
et leurs enjeux. Les objectifs sont les buts qu'ils se donnent à
atteindre et qui peuvent être explicités dans l'organisation.
L'enjeu est ce que l'acteur peut s'attendre à gagner ou à
perdre dans l'action qu'il entreprend et l'importance de ce gain ou de
cette perte à ses yeux. Par exemple, l'objectif peut être
de sortir telle production difficile dans un temps record et avec une qualité
supérieure tandis que l'enjeu peut être la valorisation du
service, de tel équipement récent dont on veut prouver la
rentabilité.
2. Les relations entre les acteurs et leurs alliances
constituent des systèmes d'action concrets. Les repérer.
On peut à nouveau utiliser l'organigramme, y dessiner les relations
affectives, puis les communications concrètes et donc les relations.
On peut aussi regrouper les acteurs en dessinant des patates sur l'organigramme
et en les nommant. Par exemple, le système du " flou " contre le
système " expert " (cf cas Secobat), ou bien les " forteresses "
et les " managers", etc. A la fin, on doit voir apparaître le système
d'action concret et peut-être les heux de pouvoir. Il s'agit donc
de montrer le fonctionnement réel de l'entreprise, qu'il soit harmonieux
ou conflictuel.
3. Les acteurs s'imposent dans une stratégie de
pouvoir lorsqu'ils maîtrisent une zone d'incertitude. Celle-ci est
une zone de décision mal définie ou pas encore stabilisée
ou dont le fonctionnement habituel est remis en question. Il faut donc
essayer de les définir. Il peut s'agir de l'. introduction d'une
innovation technologique, d'une nouvelle machine, ou la remise en cause
des règles de fonctionnement. Par exemple, l'introduction d'une
application de l'informatique, ou d'une machine à commande numérique,
ou la création d'un nouveau secteur dans un service, etc., modifiant
les statuts, les rôles et donc la répartition du pouvoir,
4. Le pouvoir est toujours un enjeu, mais il convient
de le préciser et de le concrétiser. Les acteurs, surtout
lorsqu'ils sont dans une situation stratégique pertinente pour l'entreprise,
ne peuvent pas ne pas jouer le pouvoir, voire la conquête du pouvoir.
Ils ont à défendre et à faire progresser leur service
et les personnes qui travaillent avec eux et dans ce cas, par exemple,
l'enjeu devrait être explicité comme la progression du service
ou la promotion de M. X ou l'achat d'un nouvel équipement. On rappelle
que le pouvoir s'appuie sur des ressources dont les principales sont :
la compétence, la maîtrise des relations à l'environnement,
la maîtrise des communications et des flux d'information et, enfin,
l'utilisation des règles organisationnelles.
E. Outil de mise en forme
Pour avoir une idée globale de l'organisation,
une représentation commode est de résumer le système
d'action concret en faisant des patates sur l'organigramme et en les nommant
à partir des règles que se sont données les acteurs
qui jouent à l'intérieur de ces patates (un bon exemple en
est donné dans le cas Secohat, n° 6). 0n peut partir d'un sociogramme,
tracer les relations entre individus et groupes qui se parlent ou s'évitent,
portent des jugements positifs ou négatifs, etc. 0n doit aboutir
à une image de l'entreprise à travers les conflits ou tensions
entre groupes. Si l'on veut décrire les chances de réussite
ou d'échec de telle ou telle opération, on peut remplir un
tableau du type ci-dessous, étant entendu qu'il doit refléter
la situation à un instant donné, qu'il ne vaut que pour cet
instant en permettant de visualiser les jeux probables des différents
acteurs.